La Cinquième République accorde au chef de l’État un pouvoir rarement utilisé, mais susceptible de modifier radicalement l’équilibre institutionnel. Ce mécanisme, activé seulement en période de crise grave, bouleverse l’ordonnancement des pouvoirs publics, reléguant temporairement le Parlement à un rôle secondaire.
La doctrine et la jurisprudence ont longuement débattu des critères stricts qui conditionnent son déclenchement, ainsi que des garanties censées prévenir tout abus. Pourtant, la question de son contrôle demeure, encore aujourd’hui, l’une des plus controversées du droit constitutionnel français.
L’article 16 de la Constitution : origine et contexte historique
Pour comprendre le régime d’exception posé par l’article 16 de la Constitution, il faut remonter à la France de 1958. La IVe République s’enlise, incapable d’endiguer la crise algérienne et de stabiliser ses gouvernements. Charles de Gaulle, rappelé à la tête du pays, pose les jalons d’une nouvelle constitution pensée pour résister aux tempêtes : affermir l’État, armer la République face aux menaces.
L’article 16 donne alors au président de la République des pouvoirs exceptionnels en cas de danger immédiat pour « l’indépendance de la nation, l’intégrité du territoire ou l’exécution des engagements internationaux ». Ce dispositif, conçu contre la paralysie des institutions, s’inspire de la tradition républicaine tout en rompant avec le parlementarisme classique. L’objectif est limpide : assurer la continuité de l’État et le maintien du fonctionnement des pouvoirs publics lorsque tout vacille.
Son activation reste rarissime. Un seul usage : le Putsch des généraux d’avril 1961 pendant la guerre d’Algérie. De Gaulle enclenche alors l’article 16, arguant d’une crise institutionnelle sans précédent. Ce recours, gravé dans l’histoire du droit constitutionnel, continue de nourrir de vifs débats sur la portée du texte et ses conséquences pour l’équilibre républicain.
Quels pouvoirs exceptionnels le président détient-il en vertu de l’article 16 ?
L’article 16 accorde au président de la République des prérogatives qui bouleversent les règles habituelles. Le texte constitutionnel ne dresse pas un inventaire exhaustif des pouvoirs conférés, mais il autorise le chef de l’État à prendre toute mesure que commande la gravité de la situation. La portée de ce pouvoir dépasse largement le champ classique de l’exécutif.
Concrètement, le président peut adopter des décisions qui relèvent d’ordinaire du pouvoir législatif : suspendre ou adapter certaines lois, en promulguer de nouvelles, réorganiser le fonctionnement des institutions. L’Assemblée nationale et le Sénat demeurent en place, mais leur influence s’amenuise. Les ministres, les présidents des assemblées et le Conseil constitutionnel doivent être sollicités, mais leur avis ne lie pas le président.
Voici quelques exemples de mesures que le président peut décider dans un tel contexte :
- Décréter des actes relevant normalement du domaine de la loi, même sur des sujets réservés au Parlement
- Restreindre certaines libertés publiques si la situation l’impose
- Prendre le contrôle de l’ensemble de l’appareil d’État avec une autorité renforcée
Depuis 1961, jamais aucun président, ni Georges Pompidou, ni François Mitterrand, ni Jacques Chirac, ni Nicolas Sarkozy, ni Emmanuel Macron, n’a jugé nécessaire d’actionner ce levier institutionnel. La doctrine du droit constitutionnel reste partagée, certains voyant dans ce dispositif une garantie ultime, d’autres redoutant l’effacement de la séparation des pouvoirs, pilier du régime républicain.
Encadrement, limites et modalités d’application de ce dispositif constitutionnel
Le régime d’exception prévu par l’article 16 n’autorise pas une gouvernance sans règle. La constitution française pose des conditions précises : il faut qu’une menace grave et immédiate pèse sur la nation ou l’intégrité du territoire, et que le fonctionnement régulier des institutions soit interrompu. Seul le président peut prendre cette décision, après avoir consulté formellement le premier ministre, les présidents des deux chambres et le Conseil constitutionnel.
Des garde-fous existent pour éviter les dérives. Dès l’activation du dispositif, le président doit s’adresser publiquement à la nation, plaçant son action sous le regard des citoyens et des institutions. Impossible de dissoudre l’Assemblée nationale pendant toute la période d’application : un contrepoids minimal demeure. Depuis 2008, le Conseil constitutionnel peut être saisi au bout de trente jours, à l’initiative des présidents d’assemblées ou de soixante parlementaires, pour vérifier si les circonstances justifiant l’article 16 sont toujours réunies.
Parmi les garanties prévues par le texte, citons les points suivants :
- Le respect des engagements internationaux pris par la France reste impératif
- Certaine protections fondamentales ne peuvent être suspendues, même sous le régime d’exception
- Le Conseil constitutionnel procède à un contrôle régulier de la situation
Le principe de la séparation des pouvoirs demeure, même si la tentation d’y déroger existe dans l’urgence. En cas d’abus, le juge peut encore intervenir, notamment sur des mesures individuelles. Le débat sur une possible réforme constitutionnelle pour mieux encadrer ou préciser l’article 16 reste d’actualité dans les cercles du droit constitutionnel, et la vigilance demeure de mise.
Un dispositif rare, à manier comme une arme de dernier recours, c’est tout le paradoxe de l’article 16 : conçu pour sauver la République, il reste sous surveillance étroite, car la force de la loi ne doit jamais se substituer à la loi de la force.


